Nicolas Prudent, vous vous déclarez autodidacte. Quel est votre parcours ?
Effectivement, je suis autodidacte, dans le sens où je n’ai suivi aucune formation en cinéma ou en réalisation. J’ai fait une école de design industriel avec une spécialisation en design graphique, puis me suis orienté vers le motion design, et commencé à explorer la 3D. Aujourd’hui, je travaille en tant que directeur artistique, responsable du studio graphique dans une entreprise spécialisée dans l’esthétique et le médical en développant des technologies et des cosmétiques. Mon travail y est assez varié, mais j’interviens principalement sur la production d’images, du print, de la vidéo, animations 3D et de contenus pour les réseaux sociaux. On utilise parfois l’intelligence artificielle, mais de manière ponctuelle. Par exemple, pour une campagne cosmétique, l’IA nous a permis de répondre à des contraintes de budget et de délais.
En parallèle, je développe une démarche plus personnelle, plus libre aussi. Le cinéma et l’animation sont des passions anciennes. Depuis toujours, je dessine des storyboards, j’invente des histoires. Et depuis environ un an, j’explore la création d’images avec l’IA. La vidéo est venue un peu plus tard, je m’y suis mis sérieusement à l’automne dernier. Ce sont des outils qui me donnent aujourd’hui la possibilité de matérialiser mes idées, de raconter mes histoires. Je m’en sers vraiment comme d’un support créatif à part entière.
Vous avez récemment réalisé un court-métrage intitulé Curly. Pouvez-vous nous en parler ?
Curly est un projet très personnel, né à la croisée de mes deux grandes passions : le cinéma et l’expérimentation avec les outils d’intelligence artificielle. Le film raconte l’histoire d’un hérisson qui vit à New York, dans Central Park. Il se sent en décalage avec le monde humain en raison de ses piquants, qu’il perçoit comme une barrière physique et sociale. Un jour, il tombe sur une publicité pour un shampoing frisant, et c’est le déclic : il associe immédiatement les boucles des cheveux humains à la douceur et à la possibilité d’un contact apaisé avec les autres.
Il décide alors de tout faire pour se transformer, pour adoucir son apparence. Il fait la rencontre d’Anna, une jeune femme qui va l’aider dans cette quête un peu folle. Ensemble, ils vont tout mettre en œuvre pour qu’il devienne… le premier hérisson frisé de Central Park.
C’est une histoire tendre, presque naïve, portée par un ton volontairement doux et accessible. J’avais envie d’explorer les codes de la comédie familiale américaine, un registre que je n’avais encore jamais abordé. C’est aussi une manière de parler de transformation, d’identité et de différence, mais avec légèreté et humour. Visuellement, j’ai cherché à retrouver une esthétique cinématographique forte, avec des références très marquées, tout en conservant une approche simple et émotive.
Quel a été votre processus de création pour ce film ?
Tout a commencé par l’écriture du script. Une fois le récit bien posé, j’ai élaboré un storyboard et des moodboards pour définir l’univers visuel du film. Cette étape m’a permis de préciser les intentions de mise en scène, les ambiances, les cadrages. Ensuite, j’ai généré les images avec Midjourney, en soignant particulièrement les prompts : j’y intègre souvent des références précises (un style de réalisateur, un type de lumière ou de caméra) pour obtenir un rendu photographique cohérent et cinématographique.
Une fois les images prêtes, je les ai transformées en séquences vidéo. Pour ça, j’ai principalement utilisé Hailuo AI, qui représente environ 70 % de l’animation finale. J’ai aussi eu recours à Kling, notamment pour les plans larges ou les mouvements de caméra complexes, et à Runway pour un ou deux plans spécifiques — surtout quand j’avais besoin d’une meilleure finesse dans les expressions ou d’un rendu plus fluide.
En post-production, tout passe par Adobe After Effects. J’y fais le montage complet, les ajustements de lumière, les retouches chromatiques. C’est une étape essentielle, car même avec les mêmes prompts, les images générées peuvent varier beaucoup en termes de teinte ou d’éclairage. Je réharmonise donc tout à cette étape pour conserver une unité visuelle.
Enfin, j’ai utilisé Topaz pour l’upscaling. Les vidéos générées par les IA sont encore limitées en résolution (souvent autour de 1280×740), donc passer par un upscaler permet d’obtenir une qualité plus propre pour la diffusion.
Ce processus me permet de rester agile et autonome, tout en gardant une vraie exigence sur la qualité de l’image et la cohérence du récit.
Et pour le son, la voix off, comment avez-vous procédé ?
Pour la partie sonore, j’ai utilisé Artlist, une plateforme que j’utilise déjà pour les musiques et les bruitages. Ils proposent désormais une fonctionnalité basée sur l’IA qui permet de générer des voix off à partir d’un texte. C’est grâce à cet outil que j’ai pu intégrer la narration du film, directement depuis la plateforme, en complément de la bande-son et des effets sonores. C’est une solution très pratique, surtout quand on travaille seul sur ce type de projet, avec une certaine exigence de rendu sans avoir à mobiliser un studio ou un comédien.
Quels sont les réalisateurs ou styles qui vous inspirent le plus dans vos créations ?
Je suis très influencé par des cinéastes comme Jean-Pierre Jeunet, Steven Soderbergh ou David Fincher. Ce sont des réalisateurs qui ont chacun un univers visuel très marqué, une vraie signature. Ce que j’aime chez eux, c’est cette capacité à créer une atmosphère immédiate, à travers la lumière, les cadrages, les textures.
Quand je travaille avec Midjourney, j’essaie de retrouver cette cohérence en l’intégrant dès l’étape du prompt : je mentionne parfois un style de réalisateur, un type de caméra, une ambiance lumineuse spécifique. Cela me permet de poser un parti-pris esthétique clair, presque comme si je faisais une direction photo, mais en amont de la génération d’images. C’est une manière de construire un univers visuel solide, qui donne du caractère à chaque projet.
Quels sont vos projets à venir ?
Curly a reçu le Prix Coup de Cœur du Département des Alpes-Maritimes au World AI Film Festival, et c’est un vrai moteur pour la suite. Ce type de reconnaissance me donne l’envie de continuer à creuser cette approche narrative mêlant IA et cinéma, qui reste encore très ouverte et pleine de potentiel.
J’avais déjà participé à d’autres concours, notamment aux États-Unis avec un trailer sur l’histoire du Japon, mais Curly représente ma première incursion dans le format du court-métrage narratif abouti. Pour la suite, je veux approfondir mes compétences, explorer de nouveaux genres et pourquoi ne pas m’orienter vers des formats plus longs. J’aimerais aussi collaborer avec d’autres artistes, créer des projets hybrides où se rencontreraient animation, intelligence artificielle et récit, dans une logique toujours plus créative et expérimentale.