Les réseaux sociaux, premiers moteurs de recherche des 13–28 ans
Les études confirment un basculement générationnel dans les habitudes de recherche en ligne (baromètre trimestriel Heroiks Pulse, réalisé en juin pour Peak Ace). Près de la moitié des jeunes de la Gen Z déclarent aujourd’hui privilégier les réseaux sociaux aux moteurs de recherche classiques pour s’informer, là où leurs aînés continuent majoritairement d’ouvrir Google. Même le géant du web l’a reconnu : selon Prabhakar Raghavan, l’un de ses vice-présidents, près de 40 % des jeunes, lorsqu’ils cherchent par exemple un restaurant pour déjeuner, se tournent d’abord vers TikTok ou Instagram plutôt que vers Google Search ou Maps. Autrement dit, pour de nombreux adolescents et jeunes adultes, « googler » n’est plus le réflexe numéro 1.
Des chiffres récents illustrent l’ampleur de cette tendance. Instagram est devenu le premier choix des 18–24 ans pour effectuer une recherche en ligne : environ 67 % des jeunes de cette tranche d’âge l’utilisent comme moteur de recherche, talonné par TikTok (62 %). Le moteur de Google n’arrive plus qu’en troisième position auprès de la Gen Z. À l’inverse, les internautes plus âgés restent fidèles à Google : plus de 70 % des plus de 45 ans continuent de passer par le célèbre moteur pour explorer le web. Le fossé se creuse donc nettement entre les générations dans la manière d’accéder à l’information.
Scroll infini et vidéos courtes : la recherche version Gen Z
Ce changement d’outil s’accompagne d’une évolution profonde des usages. La Gen Z ne recherche plus de la même façon que ses aînés. Au lieu de taper une requête dans une barre de recherche et de parcourir une liste de liens bleus, les jeunes ont pris l’habitude de faire défiler des flux de contenus sur leurs applications sociales favorites. Sur TikTok, Instagram ou YouTube, la réponse à une question prend souvent la forme d’une vidéo courte et percutante plutôt que d’un long article : tutoriel express, démo produit en images, avis d’utilisateur filmé… Le résultat est immédiatement visuel, ludique et rapide à consommer, là où une recherche traditionnelle demanderait de lire et trier plusieurs pages web.
Le défilement (scroll) est ainsi devenu une manière de « chercher » passivement. L’utilisateur formule parfois sa requête sous forme de mot-dièse (hashtag) ou de quelques mots-clés dans l’application, mais bien souvent il se contente de naviguer dans un flux algorithmique qui anticipe ses centres d’intérêt. Un adolescent en quête d’inspiration mode va par exemple faire défiler les posts Instagram ou TikTok liés aux dernières tendances vestimentaires, plutôt que de consulter un à un des sites web. Cette approche immersive mélange recherche et divertissement : on découvre des informations au fil des contenus qui apparaissent, sans démarche de recherche ponctuelle aussi délimitée qu’avant.
Vers une recherche proactive et immersive
Si Google répond aux requêtes, TikTok et consorts les anticipent de plus en plus. La personnalisation algorithmique est au cœur des nouveaux usages de la Gen Z. Les plateformes sociales disposent d’algorithmes ultra-perfectionnés qui analysent les goûts et le comportement de chaque utilisateur pour lui proposer du contenu susceptible de l’intéresser.
Résultat : le contenu vient à la rencontre du jeune internaute, avant même qu’il n’ait explicitement formulé sa question. Par exemple, la page For You de TikTok peut mettre en avant une astuce de bricolage ou un nouveau café branché à découvrir, simplement parce que l’algorithme a détecté que ces sujets pourraient plaire à l’utilisateur, au vu de ses vidéos précédemment regardées.
Cette logique de flux personnalisé transforme la pratique de recherche en une expérience continue. On est passé du modèle du moteur « à la demande » (l’utilisateur saisit des mots-clés ponctuellement) à celui de la découverte proactive intégrée à la navigation quotidienne. Chercher, apprendre et se divertir se confondent dans un même continuum sur les réseaux sociaux. L’internaute n’a plus toujours besoin de chercher activement : en parcourant son fil, il engrange des informations et découvre de nouvelles références de lui-même. L’expérience est plus immersive, car chaque vidéo ou post occupe tout l’écran et capte l’attention, là où une page de résultats Google fragmentait l’information en multiples liens à examiner. En somme, pour la jeune génération, la recherche en ligne est devenue un parcours intuitif, visuel et personnalisé, bien différent de la page blanche à remplir d’hier.
Authenticité et méfiance : pourquoi les jeunes changent-ils leurs habitudes ?
Au-delà des aspects technologiques, des raisons culturelles et sociologiques expliquent ce basculement. La Gen Z est en quête d’authenticité dans l’information qu’elle consomme. Or, elle perçoit souvent les contenus trouvés sur Google (sites officiels, encyclopédies en ligne, articles institutionnels) comme plus formatés, impersonnels ou orientés. À l’inverse, les réseaux sociaux offrent des formats incarnés qui inspirent davantage confiance : un créateur ou un pair qui s’exprime face caméra, avec son ton et son expérience personnelle, sera jugé plus crédible qu’un texte anonyme ou qu’un communiqué de presse. Regarder une vraie personne donner son avis dans une courte vidéo sur YouTube ou TikTok crée un sentiment de proximité chez le jeune public, là où un site web traditionnel paraît plus distant.
Par conséquent, la confiance des jeunes se porte naturellement vers les créateurs de contenu et les communautés en ligne. D’après un rapport sur les comportements social média en 2024, près de 40 % des consommateurs de la Gen Z font plus confiance aux influenceurs qu’il y a un an, et les recommandations de ces créateurs ont désormais davantage d’impact sur leurs décisions d’achat que celles de tout autre groupe d’âge. Cette génération, née avec Instagram et YouTube, accorde un crédit particulier aux avis de ses pairs, aux témoignages « vrais » diffusés sur les réseaux. Conséquence directe : une certaine méfiance envers les sources institutionnelles s’est installée.
Sans rejeter en bloc les médias ou sites officiels, les 13–28 ans ont tendance à vérifier l’information via des canaux alternatifs, par exemple en lisant les commentaires d’autres utilisateurs ou en cherchant des discussions sur Reddit pour confronter les points de vue. Ils feront plus volontiers confiance à un Tiktokeur qu’ils suivent depuis longtemps ou à un Youtubeur populaire dans sa niche, qu’à un expert mandaté s’exprimant dans un média classique. En somme, pour la Gen Z, « la vérité est ailleurs » (sur les feeds sociaux plutôt que sur les sites institutionnels), portée par des voix jugées plus indépendantes et transparentes.
De la requête Google au flux personnalisé
Toutes ces évolutions dessinent une transformation radicale des pratiques de recherche en ligne. En l’espace de quelques années, on est passé d’un modèle centré sur la requête (l’internaute interroge un moteur comme Google, obtient une liste de réponses et clique de lien en lien) à un modèle de flux continu (l’internaute navigue dans un espace personnalisé où les réponses viennent à lui). Autrefois, chercher en ligne était un acte ponctuel et volontaire ; désormais, c’est un processus intégré à la consommation quotidienne de contenus. La frontière s’estompe entre le moment où l’on s’informe et celui où l’on se divertit.
Pour les jeunes générations ultra-connectées, le moteur de recherche traditionnel apparaît moins central qu’il ne l’était pour leurs aînés. Google reste un outil puissant, mais il n’est plus l’unique porte d’entrée vers le savoir ou les découvertes. Un membre de la Gen Z pourra passer du temps à explorer une tendance sur TikTok, puis approfondir sur Instagram, regarder des avis sur YouTube, voire consulter une discussion sur un forum, sans passer par Google à aucun moment de ce parcours.
La décision d’achat ou l’opinion sur un sujet peut ainsi se forger entièrement au sein de l’écosystème social. On assiste en quelque sorte à une « dissolution » de la recherche dans le flux digital quotidien : tout espace d’échange (fil Facebook, fil Twitter/X, forum Reddit, serveur Discord…) peut devenir moteur de recherche dès lors que les utilisateurs s’y tournent pour poser des questions ou trouver des recommandations. Pour la Génération Z, chercher une information ne se résume plus à lancer un moteur généraliste, c’est exploiter toutes les ressources de son univers en ligne, de manière fluide et simultanée.
Quelles conséquences pour les marques ?
Pour les marques et les communicants, l’ascendant des réseaux sociaux comme outils de recherche des jeunes bouleverse la donne stratégiquement. D’une part, il y a un effet de « désapprentissage » du SEO classique : investir du temps et des ressources pour optimiser sa visibilité sur Google (le référencement naturel) ne garantit plus d’atteindre la cible des 13–28 ans, si celle-ci ne consulte tout simplement pas les résultats du moteur. Même un excellent classement sur des mots-clés clés risque d’être ignoré par une partie du jeune public, occupée à chercher ses informations ailleurs. D’autre part, la présence sur les plateformes sociales devient plus cruciale que jamais. Les marques doivent s’assurer d’exister là où la Gen Z cherche : dans un feed TikTok, sur une story Instagram, au détour d’une vidéo YouTube ou d’un fil de discussion communautaire.
Concrètement, les professionnels du marketing réorientent déjà leurs efforts. Près de 48 % d’entre eux utilisent désormais TikTok dans leurs campagnes d’influence, preuve que l’on ne peut plus faire l’impasse sur ce réseau pour toucher les jeunes. Le travail d’influence (c’est-à-dire la collaboration avec des créateurs de contenu suivis par la cible) devient un levier incontournable. Recommander un produit via un influenceur de confiance s’avère souvent plus efficace pour atteindre la Gen Z qu’une publicité traditionnelle ou qu’un bon référencement sur Google.
Une marque de cosmétique aura tout intérêt, par exemple, à faire tester son nouveau produit par une youtubeuse beauté ou à apparaître dans les vidéos d’un tiktokeur populaire, afin d’intégrer organiquement les flux de recommandations que consultent les jeunes. De même, être à l’écoute des communautés en ligne (groupes Facebook, Threads Twitter, forums spécialisés) et y engager la conversation peut s’avérer payant : un client satisfait qui partage spontanément son avis positif dans ces espaces aura un impact crédibilisant bien supérieur à n’importe quel argumentaire corporate.
Enfin, cette évolution impose aux marques de produire des contenus plus authentiques et adaptés aux codes des nouvelles plateformes. La Gen Z étant sensible à la transparence et à l’honnêteté du ton, les discours trop publicitaires ou institutionnels risquent de faire fuir. À l’inverse, les contenus dits authentiques — plus spontanés, incarnés, interactifs — retiennent l’attention. Cela peut passer par des formats créatifs et décontractés sur TikTok, des vidéos courtes style reels ou shorts où la marque se met en scène de façon moins formelle, ou encore par le relais de contenus générés par les utilisateurs eux-mêmes (UGC). Par exemple, présenter les coulisses d’une entreprise en story Instagram, partager des témoignages bruts de clients satisfaits, répondre en vidéo aux questions de la communauté sur TikTok sont autant de façons de s’aligner sur les attentes de cette jeune audience. L’important est de créer un lien de confiance et de susciter de l’engagement réel, là où le SEO visait surtout la visibilité et le trafic.
Arnaud DEGRESE
Agence SHOKOLA
L’IA, nouveau concurrent… et allié
En parallèle de l’essor des réseaux sociaux, l’intelligence artificielle générative s’impose comme un nouvel outil de recherche. ChatGPT, Google Gemini ou Perplexity permettent d’obtenir des réponses synthétiques, contextualisées et interactives.
Chez les 18–24 ans, l’usage de ces IA progresse rapidement. Une partie d’entre eux les utilise déjà pour approfondir un sujet, comparer des options ou obtenir un conseil personnalisé, là où les réseaux sociaux servent davantage à la découverte et à l’inspiration.
Pour les recherches complexes, les jeunes privilégient souvent la conversation avec une IA à la lecture de multiples pages web. L’échange direct, la possibilité de poser des questions de suivi et la synthèse immédiate des informations correspondent à leurs attentes d’instantanéité et de personnalisation.
Ce double mouvement avec les réseaux sociaux pour découvrir et l’IA pour approfondir redessine le paysage de la recherche en ligne. Google conserve sa place, mais doit désormais partager le terrain avec deux concurrents puissants : l’algorithme social et l’assistant conversationnel. Pour les marques, cela signifie apprendre à optimiser non seulement pour les moteurs de recherche, mais aussi pour ces nouvelles interfaces d’accès à l’information.