Le procès du film fictif « Écho » ouvre le World AI Film Festival 2025
C’est par un procès symbolique, à la fois juridique et philosophique, que s’est ouverte l’édition 2025 du World AI Film Festival à Nice. En cause : « Écho », un film entièrement généré par intelligence artificielle, au succès vertigineux — près de 18 millions de spectateurs pour un budget de seulement 10 000 euros. Une œuvre 100 % fictive, mais dont l’impact sur les imaginaires et les équilibres du secteur a suffi à enflammer les débats.
Au banc des accusés : le réalisateur Charlie Fabre, personnage singulier à la trajectoire cabossée. Autodidacte, autrefois marginalisé, il revendique une création libérée des contraintes du système. Sa « sirène syntaxique », comme il surnomme l’IA qui l’accompagne, serait à ses yeux l’alliée d’un cinéma plus inclusif, affranchi des gatekeepers traditionnels et accessible à tous les imaginaires.
Face à lui, une partie de l’industrie du cinéma sonnait l’alarme. Julia d’Avout, réalisatrice reconnue, s’est inquiétée d’une disparition progressive de la spontanéité et de l’authenticité dans le processus créatif. Selon elle, le cinéma risquerait de devenir une mécanique narrative sans âme, dictée par des algorithmes optimisés pour séduire. Hugo Latrab, avocat des parties civiles, a quant à lui remis en cause la légitimité même d’« Écho » en tant qu’œuvre cinématographique, pointant son absence de collaboration humaine et le risque économique qu’elle fait peser sur les 300 000 intermittents du secteur.
Cette mise en scène soignée, conçue comme une joute oratoire, a cristallisé les tensions qui traversent aujourd’hui le monde du 7ᵉ art. Derrière les argumentaires juridiques, c’est une question fondamentale qui a été posée : qu’est-ce qui fait une œuvre ? Et peut-on encore parler d’émotion, d’humanité, quand la machine prend le stylo et la caméra ?

La remise des prix pour clôturer la soirée du WAIFF 2025
La cérémonie de clôture du World AI Film Festival s’est ouverte sous le regard bienveillant de Claude Lelouch. Invité d’honneur, le réalisateur aux 51 longs-métrages a livré un plaidoyer nuancé en faveur de l’intelligence artificielle, qu’il perçoit comme un allié des artistes plutôt qu’un rival. « L’IA, c’est une femme de ménage : elle nous fait gagner du temps, mais ne remplacera jamais la part de folie qui fait un film », a-t-il lancé avec humour, fidèle à son style direct.
Pour Lelouch, deux formes d’intelligence coexistent : la rationnelle, qu’il attribue à la machine, et l’irrationnel, propre à l’humain. C’est cette dernière, selon lui, qui continue d’insuffler au cinéma sa part d’émotion, d’imprévu et de magie. L’IA ne serait donc qu’un outil au service des rêveurs, et non un substitut à la puissance créative.
La soirée s’est poursuivie avec la remise de plusieurs prix emblématiques : meilleure bible de série, meilleur synopsis, meilleur film sur smartphone, et bien sûr, meilleur film IA. Les projets récompensés ont illustré la diversité des approches et des formats, souvent portés par de jeunes créateurs venus bousculer les codes.
Sur scène, de nombreux lauréats ont insisté sur le rôle facilitateur de l’IA dans leur processus. Ils ont évoqué un cinéma plus accessible, capable de s’émanciper de contraintes financières, logistiques ou temporelles. Pour certains, l’IA a permis de créer là où l’infrastructure manquait, d’écrire sans attendre un feu vert, de monter sans moyens.
Au-delà des trophées, la cérémonie a offert un instant de communion entre générations de cinéastes, entre technologie et sensibilité. Et pour tous, une même envie : raconter autrement, mais sans jamais trahir l’émotion.
Un manque criant de femmes dans la sélection officielle du WAIFF 2025
La remise des prix du World AI Film Festival 2025 s’est accompagnée d’un constat sans appel : la quasi-absence de femmes parmi les lauréats et dans la sélection officielle. Une réalité que le jury n’a pas éludée, bien au contraire. Tour à tour, Julie Gayet, Thomas Bidegain, Alexia Laroche-Joubert, Anna Apter et Marianne Carpentier ont pris la parole pour dénoncer ce déséquilibre, regrettant que la création IA — censée ouvrir de nouveaux espaces — reproduise déjà les inégalités du système traditionnel.
Sarah Lelouch, elle aussi présente, a rappelé des chiffres glaçants : seulement 27 % des films projetés en salle sont réalisés par des femmes, 14 % des emplois dans la tech sont occupés par des femmes, et à peine 2 % parviennent à lever des fonds pour lancer leur startup. Des données qui éclairent l’angle mort d’un secteur en pleine mutation, mais encore très masculin.
Marco Landi, organisateur du festival et ancien dirigeant d’Apple Europe, n’a pas esquivé la critique. Très impliqué dans la démocratisation de l’IA dans les Alpes-Maritimes, il a publiquement soutenu les propos du jury : « Il y a un problème important : parmi tous les gagnants, il n’y a eu qu’une seule femme. »
Un déséquilibre d’autant plus flagrant que, le lendemain, les tables rondes du samedi 12 avril avaient justement mis en lumière plusieurs figures féminines engagées pour une IA éthique et inclusive. Chercheuses, entrepreneures, artistes : toutes portaient une vision ambitieuse, rigoureuse et humaniste de la création augmentée.
Ce contraste entre les discours de fond et les résultats du palmarès a jeté une ombre sur la cérémonie finale. Il souligne l’urgence de repenser les critères, les jurys, les filières de formation et les réseaux de production pour que l’intelligence artificielle, loin d’accentuer les biais existants, devienne un véritable levier d’égalité.
Jean-Baptiste VIET
Palmarès WAIFF 2025
Prix « Coup de cœur du Département »
- Film lauréat : Curly
- Auteur : Nicolas Prudent
- Remettants : Charles Ange Ginésy et Julie Gayet
Prix ClapAction – Meilleur film réalisé sur smartphone
- Film lauréat : Lost in Space
- Auteurs : Timothée Falcon & Gabriel Jouve
- Remettants : Sarah Lelouch & Astou Sedy Diouf
Prix Génario – Meilleure bible de série (partenaire Banijay)
- 1er prix : White Mask – Serge Hayat
- 2e prix : SK8 – Philippe Rouin
- 3e prix : Et n’être qu’un homme qui passe… – Olivier Bouffard (absent)
- Remettants : David Defendi, Alexia Laroche-Joubert, Eric Libiot
Prix Génario – Meilleur synopsis de long métrage (partenaire Pathé)
- 1er prix : Minuit – Hannah Réveillé & Jules Kensley (absents)
- 2e prix : Mr. Kaplan – Amaury Hayat
- 3e prix : À ciel ouvert – Guillaume Miquel
- Remettants : Thomas Bidegain, Ardavan Safaee
Prix spécial du Jury
- Film : Anomaly – Yevhen Chernyshov (Ukraine)
- Remettants : Thomas Bidegain & Marianne Carpentier
Prix du meilleur film IA
1er prix : The Russian Sleep Experiment – Nicolas Pomet
2e prix : L’Espace tombe sur la Terre – Nicolas Russeil
3e prix : Thiaroye 44 – Hussein Dumbel Sow, Laura Bui, Papa Oumar Diagne
Remettants :
3e prix : Gilles Guerraz, Ludovic Place
2e prix : Anna Apter, Simon Bouisson, Jean-David Blanc
1er prix : Charles Ange Ginésy, Claude Lelouch, Julie Gayet, Marco Landi