Parmi les interventions les plus remarquées, plusieurs femmes ont livré des réflexions lucides et concrètes sur la manière d’intégrer l’intelligence artificielle dans les processus de création, tout en restant fidèles à une exigence artistique et humaine.
Anna Apter, réalisatrice, a insisté sur l’importance de commencer tout projet par une intention humaine forte :
« Dans les projets où j’ai utilisé des images générées par IA, j’ai toujours d’abord écrit sans outils d’IA. Ce qui m’intéresse dans l’IA, ce n’est pas qu’elle me donne des idées, mais qu’elle soit au service de mes idées. »
« J’ai commencé à m’y intéresser fin 2022, aux balbutiements de ces outils, et j’ai rapidement voulu en faire autre chose que juste des belles images. J’ai d’abord écrit mon script, puis je me suis servie des outils d’IA comme d’une équipe, ce qui m’a permis de créer avec juste ce que j’avais dans la tête. »
« Ça remplace un peu un storyboard — avant je dessinais ce que j’avais en tête, mais ça prenait du temps. Ces outils permettent d’aller beaucoup plus loin, beaucoup plus rapidement pour expliquer ce qu’on veut. »
Alexia Laroche-Joubert, présidente de Banijay France, a évoqué un choc générationnel lors de l’introduction de l’IA dans son groupe :
« L’impact de l’IA a été différent selon les générations. J’ai été nommée il y a 18 mois chez Banijay France, et nous avons rapidement commencé les formations sur l’IA. Lors de la première réunion, nous avons observé un choc générationnel : certains étaient réticents tandis que les jeunes étaient déjà à l’aise avec ces technologies. »
« Pour gérer cette situation, j’ai utilisé “la carotte et le bâton” : j’ai fait venir le patron de Meta (Laurent Solly), pour sensibiliser l’équipe en leur disant qu’ils devaient utiliser l’IA quotidiennement, et j’ai intégré l’utilisation de l’IA dans les critères de bonus. »
« Après 16 mois, les équipes se sont finalement amusées avec cet outil. Je pense que c’est la meilleure façon d’appréhender l’IA : comme un outil ludique qui peut nous emmener dans des directions inattendues. »
Marianne Carpentier, directrice de l’innovation, a ciblé les productions sous forte contrainte comme les soaps quotidiens pour y introduire progressivement l’IA. Face aux craintes des équipes techniques, notamment les intermittents, elle défend une approche pédagogique et rassurante :
« J’ai commencé par apporter l’innovation dans un studio de production de TF1, en ciblant les équipes travaillant sous forte contrainte, comme les producteurs de programmes quotidiens (soap operas). »
« Ces productions industrielles avec peu de budget et des délais serrés ne peuvent pas s’arrêter, donc on doit implémenter les changements progressivement. Les personnes qui résistent le plus sont celles qui ont peur, notamment les intermittents du spectacle. »
« Pour surmonter cette résistance, j’explique comment fonctionne cette technologie et quels sont ses avantages concrets. C’est une machine, on peut aussi la débrancher à tout moment. Par exemple, avec une chef costumière, j’ai montré que l’IA ne lui enlèverait pas son travail, mais lui donnerait 8 heures supplémentaires par semaine de créativité pure, pour notamment acheter et choisir ses costumes, au lieu de dépouiller ses 8 scripts. Elle est ensuite devenue la meilleure ambassadrice de cette technologie. »
Alexandra Bensamoun, juriste spécialisée en droit du numérique, a souligné l’importance d’un cadre éthique et juridique équilibré à l’échelle européenne :
« Je suis geek depuis mon plus jeune âge, c’est pourquoi je fais du droit du numérique. Je branchais des ordinateurs en réseau, avant même qu’il n’y ait de l’Internet à la maison. Je suis favorable à ce que la technologie soit au service de l’humain (“Human Centric”). Notre objectif est de réfléchir à une position équilibrée, pas d’interdire l’usage d’outils. »
« Il faut créer un cadre de confiance, comme l’a mentionné notre Président de la République lors du sommet de l’IA au Grand Palais. Nous avons besoin d’une troisième voie entre les États-Unis qui dérégulent complètement et la Chine qui sur-régule pour faire de l’IA un outil politique. »
« L’Union européenne et la France ont des valeurs auxquelles nous ne voulons pas renoncer. Nous devons créer un cadre à la fois innovant et respectueux des droits (droits de la personnalité, données personnelles, propriété intellectuelle). Nous pouvons saisir la technologie de l’IA sans abandonner notre modèle anthropologique, social et culturel. »





Enfin, le Prompt Club, collectif dirigé par Gilles Guerraz, a été salué comme le meilleur fournisseur de films IA dans la sélection officielle, avec quatre œuvres retenues cette année. Le club s’illustre aussi par sa promotion active de réalisatrices IA tout au long de l’année, laissant espérer une sélection 2026 plus paritaire.
Jean-Baptiste VIET