Le débat sur l’intelligence artificielle s’emballe, les positions se durcissent, les tribunaux commencent à trancher. Et pendant ce temps-là, les communicants regardent le train passer. Attachés de presse, consultants RP, stratèges éditoriaux : tous produisent des contenus publiés, partagés, indexés… donc aspirés, stockés, réutilisés pour entraîner les grands modèles de langage. Et pourtant, rien. Pas de tribune collective. Pas de levée de boucliers. Pas même un vrai débat métier.
Ce silence est un aveu. Celui d’un secteur qui n’a pas encore pris la mesure de ce qui se joue. Car les IA ne font pas de distinction. Un communiqué de presse, une prise de parole d’expert, une interview mise en ligne : tout est matière à ingestion. Et contrairement à l’indexation des moteurs de recherche, il ne s’agit plus ici de renvoyer vers une source, mais d’en extraire la substance. Sans l’auteur. Sans le contexte. Sans le lien.
Contenus RP : la matière invisible des IA
Les professionnels des relations médias ne sont pas des créateurs « secondaires ». Ils façonnent le discours public, structurent l’information, accompagnent la prise de position. Leurs contenus ont une intention, une cible, un message. Ce ne sont pas des données brutes. Et pourtant, les IA les traitent comme tels.
Un dossier de presse fouillé sur une innovation complexe, une tribune rédigée pour un dirigeant, une synthèse experte destinée aux journalistes : ces contenus ne sont pas de simples supports de diffusion. Ce sont des objets de communication pensés, produits, signés. Et à ce titre, ils peuvent relever du droit d’auteur. Mais ce cadre reste flou, rarement invoqué, et peu protégé quand il s’agit de réutilisation automatisée.
Soyons clairs. Chaque article préparé, chaque citation validée, chaque storytelling calibré peut aujourd’hui être digéré par une IA… puis régurgité, remixé, reconditionné dans une réponse automatique. Et personne ne saura que le point de départ venait d’un document RP. Cette invisibilisation est un risque majeur pour la profession : si nos contenus peuvent être utilisés sans nous, c’est qu’ils peuvent être produits sans nous. Ou du moins, prétendument.
Un angle mort stratégique
Journalistes, artistes, éditeurs… tous se mobilisent pour encadrer l’usage de leurs productions. Et ils ont raison. Mais pourquoi les communicants ne font-ils pas de même ? Le problème n’est pas nouveau. Ce métier a toujours souffert d’un déficit de reconnaissance : omniprésent dans l’ombre, marginal dans les arbitrages. Mais avec l’IA, cette marginalisation devient une menace directe.
Le flou de notre identité collective complique la riposte. Indépendants, agences, directions com », cabinets spécialisés… les profils sont variés, les intérêts parfois divergents. Mais c’est précisément pour cela que la prise de parole devient cruciale. Car sans réaction collective, nos productions continueront d’être exploitées à l’insu de tous, nos savoir-faire absorbés dans des systèmes qui nient l’origine, et notre rôle dans la chaîne de valeur de l’information sera réduit à néant.
Les entreprises clientes, elles aussi, doivent s’interroger. Ce sont leurs contenus, leurs stratégies, leurs prises de parole qui nourrissent les IA. Peuvent-elles accepter que ce matériel devienne, sans filtre ni contrat, le carburant de modèles génératifs concurrents ?
Une urgence éthique et politique
Il ne s’agit pas de bloquer l’innovation. Mais de poser des principes. Attribution. Consentement. Transparence. Rémunération équitable lorsque les contenus sont utilisés à des fins d’entraînement. Rien d’extravagant. Simplement, le respect dû à une profession qui produit du contenu pensé, signé, structuré… et pourtant totalement ignoré dans le débat public.
L’IA Act européen, en cours de mise en application, impose aux fournisseurs d’IA de déclarer les sources d’entraînement de leurs modèles. C’est une ouverture. Encore faut-il que les communicants s’en saisissent, fassent entendre leur voix, proposent des garde-fous et revendiquent une reconnaissance concrète de leurs contenus dans ce cadre réglementaire.
L’IA n’est pas un mirage, c’est déjà une industrie qui exploite nos contenus sans nous. Si les professionnels RP ne veulent pas devenir des figurants dans le grand théâtre de l’information automatisée, ils doivent s’exprimer, s’organiser, et revendiquer la valeur de ce qu’ils produisent. En silence, nous serons balayés. À voix haute, nous avons encore le pouvoir d’imposer des règles.
Bruno SANVOISIN
Co-Président du SYNAP
Consultant RP chez Influactive