Alban PELTIER
CEO et Co-fondateur @ antvoice
Alban évolue dans le digital depuis 20 ans, et a multiplié les expériences dans des startups (iBazar, Sporever), de grands groupes (MSN), ou en tant que business angel (Geolid, MHD) et entrepreneur (Looneo).
Jusqu’à présent, Google et ChatGPT avançaient en parallèle. Sur le moteur de recherche dominant, pour chercher une information précise (un horaire, une adresse, un site…), rien de plus simple, on pose la requête et généralement l’information se trouve en tête des résultats.
Pour des recherches plus complexes (préparer un voyage, choisir une assurance…), c’est plus compliqué. En réponse à la requête, on profite d’une liste interminable de sites, puis on doit dresser soi-même la synthèse avant d’arriver à l’information convoitée.
ChatGPT, lui, inverse la logique en proposant directement une synthèse structurée, en rendant cette étape fastidieuse obsolète. Cette nouvelle approche crée un bouleversement : le temps où il fallait sauter de lien en lien semble s’effacer devant un modèle intégrant à la fois la puissance des grands index du web et l’intelligence contextuelle.
Pour illustrer cet impact, rien de tel qu’un exemple concret. Pour un séjour à Chicago, nous avions pu concevoir un programme de visites parfaitement adapté et élaboré grâce à ChatGPT. Mon épouse, Alexa, avait précisé nos préférences, la durée exacte du voyage, l’emplacement de l’hôtel, nos centres d’intérêt, et l’outil avait alors produit un planning minutieux. On n’avait même plus besoin de parcourir des dizaines de sites : le résultat était déjà prêt, cohérent et précis. Quelques itérations et le tour était joué !
Un nouvel équilibre entre Google et ChatGPT
Cette dynamique a changé mon usage de la recherche. Avant, Google occupait 100 % de mon temps, mais depuis quelques mois, la balance s’est rééquilibrée. Désormais, j’oscille autour d’un ratio 50 %/50 % entre Google et ChatGPT, une estimation personnelle fondée sur mes usages quotidiens. Dans la pratique, ChatGPT facilite la conception globale de projets, qu’ils soient personnels ou professionnels, alors que Google reste consulté pour des informations très pointues : horaires d’un musée, détail d’un menu de restaurant ou vérification d’une source précise.
Aujourd’hui, le paysage se transforme encore. ChatGPT propose désormais la recherche directe sur le web, combinant dans une seule interface la synthèse poussée et l’accès simultané aux détails. Le rêve de nombreux utilisateurs se concrétise : il est enfin possible de profiter de la richesse infinie du web tout en obtenant une synthèse de millions de sources en quelques secondes !
Cette nouveauté redéfinit totalement la notion de recherche en ligne.
Mieux encore, une extension existe déjà pour installer ChatGPT comme moteur par défaut dans Chrome. Un simple clic et Google se retrouve court-circuité. Une idée qui aurait semblé inconcevable il y a encore un an, tant Google dominait le marché avec plus de 95 % des parts. Même Microsoft, avec Bing, n’avait pas réellement réussi à renverser la tendance. Désormais, ChatGPT entre dans l’arène, créant un précédent dans un univers de la recherche jusque-là sans véritable alternative majeure.
Quel modèle économique pour ChatGPT ?
Bien sûr, cette révolution soulève des interrogations sur le modèle économique à venir. ChatGPT, intégrant désormais la recherche web, conservera-t-il une neutralité absolue, ou envisagera-t-il de monétiser ses services par des formats sponsorisés ? La perspective d’une version sans publicité, réservée aux abonnés, et d’une version gratuite financée par des encarts ciblés apparaît comme un scénario plausible. Il s’agirait d’une évolution qui transformerait non seulement les habitudes des utilisateurs, mais également l’écosystème publicitaire. D’ailleurs Perplexity vient de franchir le pas en ce sens.
Pour Google, le risque s’annonce considérable : près de 60 % de ses revenus totaux (près de 300 Md $) proviennent de la publicité liée au search. Désormais, cette manne se retrouve menacée, car la fréquentation de Google pourrait se réduire au profit de ChatGPT et d’autres services similaires. Pis encore, dans le futur, les annonceurs envisageront sans doute de glisser des promotions dans l’univers ChatGPT, mettant ainsi un terme à l’hégémonie de Google sur ce marché. Le socle même du business modèle de la firme de Mountain View pourrait se fissurer.
Quel impact sur les sites web et le SEO ?
Au-delà de l’impact économique, cette nouvelle donne rejaillit sur la visibilité des sites web. Comment les éditeurs de contenus réagiront-ils si les internautes se contentent de la synthèse proposée par ChatGPT, sans cliquer sur les liens source ? Le modèle du référencement, qu’il soit naturel ou payant, se trouve remis en question. Les sites, médias, boutiques en ligne, communautés… tous doivent anticiper un changement où l’internaute, moins enclin à naviguer à travers des pages multiples, bénéficie d’un accès plus immédiat et plus complet à l’information.
Cette évolution ressemble à un séisme dans l’écosystème du web. Pour les sites marchands, cela pourrait signifier une baisse de trafic direct, car les internautes accéderaient aux informations souhaitées directement depuis ChatGPT. Les médias, quant à eux, pourraient voir une diminution de l’engagement sur leurs articles si les réponses synthétiques suffisent à satisfaire les utilisateurs. Enfin, les communautés en ligne risquent de perdre des membres actifs, puisque les discussions ou questions complexes pourraient être résolues par l’IA sans nécessité d’interaction humaine.
Un buzz inattendu et des réactions mitigées
Le jour de l’annonce de Chat GPT, le 1er novembre dernier, un vendredi férié, vers 15 h, j’ai rédigé un post sur LinkedIn partageant mon enthousiasme pour ce changement de paradigme dans la recherche.
Ce qui ressemblait à une analyse un peu engagée s’est avéré déclencher une vague massive de réactions. Des chiffres impressionnants : plus de 400 000 impressions du post, plus de 2 800 réactions, plus de 500 commentaires, plus de 500 demandes de nouveaux contacts, plus de 200 partages. Un engouement inattendu, confirmant l’intérêt, la curiosité ou le questionnement que suscite cette révolution du search.
Bien entendu, tout n’a pas été rose. Certains m’ont vivement critiqué, reprochant ma vision trop tranchée. Environ 8 % des réactions se sont révélées négatives. Un pourcentage non négligeable, mais finalement pas si élevé puisqu’il sous-entend que 92 % des lecteurs ont jugé le post intéressant, voire pertinent. De nombreux commentateurs ont souligné que l’intégration de l’IA générative au search web ouvre la voie à une nouvelle ère.
La fin d’un monopole ?
Le point central qui revient souvent est la notion de concurrence. L’arrivée de nouveaux acteurs dans le domaine de la recherche en ligne suscite un enthousiasme certain, car un marché dominé par un seul géant finit par s’enliser. Un monopole n’arrange jamais l’utilisateur final ni les entreprises dépendantes d’une unique plateforme. Cette émulation insuffle une dynamique porteuse d’innovations, de modèles plus souples et d’outils mieux adaptés aux besoins réels.
Pourtant, au milieu de cet optimisme, quelques professions tremblent. Les spécialistes SEO, les agences qui vivaient du référencement sur Google, les formateurs dédiés aux outils de Mountain View, tous craignent un bouleversement de leur écosystème. Google a bâti autour de ses services un réseau de partenaires qui a largement contribué à son succès. Voir ce socle menacé inquiète, d’autant que certains ont basé leur carrière ou leur chiffre d’affaires sur un produit devenu soudainement vulnérable. S’adapter, trouver de nouvelles stratégies, se réinventer, en somme appliquer une sorte de darwinisme numérique devient la clé de la survie.
Google peut-il réagir ? D’autres observateurs estiment que Google, grâce à sa taille et sa force de frappe, saura réagir dès que nécessaire. Mais la firme n’est pas infaillible. L’exemple de Google+ visant à supplanter Facebook s’est soldé par un échec retentissant. Les rachats de HTC ou de Motorola n’ont pas particulièrement brillé. Sur le cloud, Google se tient encore à bonne distance d’Amazon et de Microsoft. Enfin, aucune innovation majeure ne semble avoir émergé récemment du côté du leader historique, laissant entrevoir une période d’essoufflement.
Pas qu’un gadget de geeks, mais un défi écologique
Un argument avancé pour relativiser le phénomène ChatGPT réside dans l’idée que ce ne serait qu’un gadget réservé aux passionnés de nouvelles technologies. Or, les chiffres témoignent d’un usage bien plus large. En octobre dernier, Médiamétrie a recensé plus de 8,4 millions de visiteurs uniques sur ChatGPT en France ! On parle donc d’un public réellement large, pas seulement d’une poignée de geeks. Et mieux encore, le temps passé par utilisateur atteint une heure par mois, soit déjà plus que les 50 minutes allouées à Google, et surpassant largement nombre de sites ou d’applications existants.
Il reste la question de l’impact environnemental. L’IA générative exige une puissance de calcul extrême, donc une consommation énergétique élevée. Par exemple, un modèle de grande ampleur comme GPT-4 peut nécessiter plusieurs mégawatts d’énergie pour l’entraînement initial, ce qui équivaut à la consommation annuelle de centaines de foyers. Ces chiffres illustrent l’ampleur des défis énergétiques posés par ces technologies. Cette réalité soulève des enjeux difficiles à éluder, même si la nature des traitements IA générative diffère de celle du search classique. Néanmoins, l’empreinte énergétique ne disparaît pas, et constitue un défi colossal. Adapter l’infrastructure, rendre ces technologies moins gourmandes, voilà un objectif qui s’ajoute aux nombreux chantiers déjà en cours.
Le meilleur est donc à venir en matière de recherche !