Son court-métrage « Brisés », salué dans la sphère IA, incarne une nouvelle vague créative : libre, imparfaite, radicalement moderne. Cloë nous ouvre les coulisses d’un processus aussi artisanal qu’avant-gardiste, où les intelligences artificielles ne remplacent rien… elles catalysent tout.
Vous êtes passée de la direction artistique à la réalisation IA en un temps record. Quel a été le déclic ?
J’ai toujours été dans l’image : études en comm visuelle, baccalauréat ciné-audiovisuel, quelques années en agences, une galerie d’art, puis ma propre agence. Après la naissance de mon deuxième enfant, j’ai eu envie de créer à nouveau pour moi. J’ai commencé par Midjourney, à fond. J’ai développé tout un univers visuel qui m’est propre. Je bloquais sur des déserts roses, des personnages étranges… c’est devenu mon langage. Puis en janvier 2025, j’ai rejoint le Prompt Club. Et là, tout a changé.
Le Prompt Club, késako ?
C’est un collectif de réalisateurs IA initié par Gilles Guerraz. On partage nos connaissances, nos échecs, nos obsessions. Pas de jugement, juste des passionnés du prompt, du plan bien animé, et de belles histoires. On se lance un thème par mois et on réalise un court métrage. C’est un endroit à la fois hyper technique et humain et surtout très inspirant.
Vous parlez souvent de « votre signature rose ». Comment la rendez-vous compatible avec les outils automatisés ?
Je travaille mes prompts comme une recette. J’ai une base que je ne change jamais : une lumière diffuse, des teintes roses précises, une fumée colorée… C’est presque une incantation. Ensuite, je module autour : le décor, les actions, les personnages.
Par exemple, dans Brisés, le rose est omniprésent. Mais ce rose, ce n’est pas un hasard : c’est mon terrain de jeu visuel. J’y projette mes obsessions. J’ai même des snippets de prompt enregistrés que je réutilise à chaque projet pour garantir cette cohérence.
Pouvez-vous nous détailler le processus complet, sur une scène de Brisés par exemple ?
Oui, prenons la scène d’ouverture. J’ai commencé par générer une série d’images d’un homme marchant dans un couloir désert, enveloppé d’une lumière profonde, dans un décor aux nuances roses.
J’ai ensuite sélectionné une seule image, upscalée avec Magnific AI. Ce moment est crucial : si le rendu n’est pas assez propre, toute la séquence est foutue. Puis je l’ai animée avec Kling AI, en jouant sur un lent travelling avant. La musique a été générée avec Suno, un solo de violon. Et la voix off, un texte que j’ai écrit et enregistré avec un timbre grave, un peu cassé.
Tout est ensuite monté dans Adobe Premiere Pro, à l’ancienne. Des transitions fluides créées par le mouvement mélangées à des cuts secs. Comme des fractures. D’où le titre : Brisés.
Comment choisissez-vous entre les différents outils IA qui existent aujourd’hui ?
Ils ne sont pas en concurrence. Je les utilise comme des pinceaux différents. Midjourney pour la beauté plastique. Magnific pour le détail. Kling AI pour l’animation ciné. Freepik (qui intègre Magnific) pour les personnages LoRa. Eleven Labs pour les voix crédibles. Suno pour créer un univers sonore unique. Je suis abonnée à tous ces outils. Ça coûte un bras, mais ça me donne de la souplesse.
Justement, la question des droits… comment gérez-vous la publication des films ?
Je n’ai aucun problème de droits puisque je crée tout de l’image au son. C’est ce qui me permet de publier librement sur Instagram, YouTube ou Vimeo. Je veux pouvoir dire que mon film est entièrement généré, sans avoir à justifier un sample ou une image « empruntée ». C’est aussi ça l’enjeu : rester dans une chaîne de création autonome, propre, unique et qui m’appartient.
Vous parlez de cinéma IA, mais est-ce encore du cinéma ? Est-ce encore de la réalisation ?
Oui. Mille fois oui. Parce que ce n’est pas l’outil qui fait l’intention. Je me considère comme une réalisatrice à part entière. Je fais de la direction artistique, du montage, de la narration. Les IA ne font rien seules. Ce sont des traducteurs, pas des auteurs. Il faut leur parler, les dompter, les provoquer.
C’est mon regard qui guide tout. Ce qui me touche, c’est l’imperfection, la dissonance. Les ratés beaux. Je préfère une image bancale qui raconte quelque chose qu’une perfection lisse. Mon cinéma est en marge, rose et un peu tordu. Et c’est ça qui le rend vivant.
Un mot pour celles et ceux qui veulent se lancer ?
Mon conseil principal serait de donner du sens à vos créations et de vous faire plaisir avant tout. N’essayez pas de faire les choses comme il « faut », mais plutôt comme vous les sentez. Utilisez les IA comme une boîte à outils, et soyez le moteur, pas seulement le pilote.
J’aime bien me définir comme une « cancre » du cinéma. Je prends les chemins de traverse, je ne rentre pas dans les cases établies. Les cases, je les repeins en rose, je les brûle et je les jette dans le désert ! Et c’est là que ça devient intéressant et que votre cinéma commence, c’est en marge des conventions que naissent les plus belles histoires.
Alors, amusez-vous, donnez du sens à vos créations, et surtout, faites-les à votre manière. Soyez libre et imparfait, en tout cas moi c’est ça qui me touche.