Des outils soi-disant au service du métier
Bruno Sanvoisin le dit : l’IA peut aider à trier l’information, extraire l’essentiel, personnaliser les messages. Sur le papier, c’est tentant. Dans la pratique, c’est un leurre. L’IA automatise ce qui, dans ce métier, dépend justement de l’intuition humaine. Cibler un journaliste, ce n’est pas scanner ses archives. C’est comprendre ses lubies, ses seuils de tolérance, son agenda non-dit. Aucun prompt ne permet ça.
On parle de personnalisation comme si un texte généré pouvait reproduire un échange réel. Mais ce n’est pas du sur-mesure, c’est du prêt-à-porter retouché. Une illusion de pertinence, polie, mais fade. Un spam déguisé en bon élève. Dans une boîte mail surchargée, ça ne trompe personne. C’est propre, oui. Mais c’est sans vie.
La logique économique derrière le vernis technologique
Bruno Sanvoisin ne s’arrête pas là : certaines agences, bousculées par la crise, proposent des honoraires cassés et empilent les dossiers. Pour absorber le volume, elles confient les comptes à des stagiaires. Mais pas de panique, l’IA « optimise » tout ça. Traduction : on remplace les pros par des juniors sous-payés, épaulés par des outils qui ne comprennent rien à la stratégie. Double appauvrissement. Double escroquerie.
Ce qui se présente comme un gain d’efficacité est en fait une mise à nu du système. Moins de budget, donc moins d’humains compétents. Moins de présence terrain, donc plus de machines à produire du texte. On appelle ça une évolution. C’est une capitulation.
Le piège de la crédibilité algorithmique
Bruno Sanvoisin veut croire à une revanche de la presse grâce aux IA. Puisque les moteurs valorisent la « crédibilité », les articles auraient plus de poids que les posts LinkedIn. Oui, mais cette crédibilité est devenue une ressource exploitée, pas un levier de revalorisation. Elle nourrit des systèmes qui la digèrent sans jamais la reconnaître.
On ne renforce pas la qualité. On automatise le sérieux. On produit des contenus « corrects », calibrés pour les robots, vides pour les humains. L’enjeu devient : comment générer assez de matière crédible pour continuer à nourrir les IA ? C’est une boucle. Et plus elle tourne, plus les attachés de presse deviennent des fournisseurs de flux… pas des conseillers.
Ce métier repose sur la confiance, le jugement, la nuance. L’IA repose sur des modèles statistiques. Faire cohabiter les deux, c’est croire qu’une machine peut improviser dans une crise, qu’elle peut construire une relation, ou sentir ce qu’on ne dit pas. Faux. Elle peut prédire, pas comprendre.
Bruno Sanvoisin alerte, mais il faut aller au bout du constat : l’IA ne sauvera pas les RP. Elle les mécanisera, les affaiblira, les détournera de leur sens. Elle remplacera des mots pensés par des mots générés. Et les attachés de presse finiront assistants techniques d’un système qui ne sait même pas pourquoi il parle. Le problème n’est pas l’outil. Le problème, c’est ce qu’on accepte de sacrifier pour qu’il « marche ».
Propos recueillis par Augustin GARCIA