Laurie ZINGARETTI
Directrice Artistique chez Adrénaline et formatrice en IA génératives.
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Passionnée par son métier, Laurie suit de très près toutes les évolutions dans son domaine. Elle se dit ‘touche-à-tout’ : web, print, vidéo, illustrations, 3D, IA… elle ne laisse aucun territoire créatif inconquis. Caractéristique particulière : Midjourney la définit comme une espionne russe redoutable.
La grande illusion
Je veux bien sûr parler de ces messages qui proclament « Je te réalise un logo en 5 minutes chrono grâce à l’IA ». Depuis l’arrivée de Midjourney, une foule d’experts autoproclamés envahit l’espace professionnel LinkedIn avec ce type de promesse Et tout comme vous, ces publications commencent sérieusement à m’agacer (pour rester poli).
En regardant mon fil d’actualités, j’ai l’impression de revivre la pub « Comme j’aime » que je voyais constamment passer à la télévision, vantant cette promesse de perdre 10 kilos en une semaine sans bouger de son canapé, avec le premier mois remboursé.
Séduisant au premier abord, après tout, pourquoi payerait-on un coach sportif professionnel et ferait-on du sport, s’il suffit d’ouvrir un colis, de mettre la nourriture au micro-ondes pour voir le chiffre sur la balance descendre ?
C’est la même histoire pour la création d’un logo généré entièrement par IA. Pourquoi payerait-on un designer professionnel pour le faire, si avec Midjourney on peut avoir un logo en 5 minutes ? Donc moins d’efforts, pour, selon l’argument principal, un budget réduit (contrairement à « Comme j’aime » où seul le portefeuille perd plus de poids que vous).
On le sait tous, on ne va pas se mentir, le budget communication est toujours celui que l’on sacrifie en premier quand c’est la crise, mais franchement, 5 minutes pour un logo, est-ce vraiment une bonne idée ?
Spoiler : NON.
Créer un logo n’a jamais été juste un clic sur un bouton, et ne le sera jamais, avec ou sans IA génératives, et je vais vous expliquer pourquoi.
Le branding, ce n’est pas de la magie instantanée
Je vous parle d’un processus créatif qui exige de plonger les mains dans le cambouis de la marque, de comprendre son essence, ce qui la fait vibrer, ses ambitions, ses valeurs. Le logo, c’est ce qui constitue l’identité, c’est de là que va découler toute la charte graphique.
Si le logo est banal, toute l’identité de l’enseigne le sera aussi.
« Oui, mais quand on n’a pas de budget et qu’on veut démarrer son activité, c’est bien de faire son logo par les IA génératives pour se lancer. » OK, mais qui te dit que ce logo que tu génères n’existe pas déjà ? La création unique via IA générative n’est pas garantie, il y a toujours un risque.
Autre question, sais-tu que lorsque tu génères ton logo entièrement par IA, tu as le droit de l’exploiter commercialement, mais tu n’as aucun droit d’auteur dessus ?
Imaginons que tu sois boulanger, tu désires un logo pour lancer ta boulangerie. Bon, tu entres ton prompt dans Midjourney « logo pour une enseigne de boulangerie » ou, pire encore, tu engages un pseudo designer pour le faire, il te sortira sûrement une proposition avec un épi de blé, une baguette, le coup classique…
Maintenant, il y a aussi Michel qui, lui aussi, veut lancer sa boulangerie et fait ses recherches dans la galerie de Midjourney. Oui Michel n’est pas trop adepte du prompt et n’a pas le budget pour un designer professionnel. Il se dit « tiens, je vais utiliser celui-là », et pas de bol, c’est également le tien…
Résultat ? Deux boulangeries différentes avec le même et unique logo. Mais, c’est comme ça ma pauvre Lucette, tu ne pourras rien faire pour contrer la situation parce qu’il ne t’appartient pas, tant que la législation ne sera pas claire sur cette histoire de droits d’auteur et d’IA.
Un travail d’artiste et d’artisan
Le saviez-vous ? Avant même de toucher à notre palette graphique, il y a tout un monde de recherches, de brainstormings, de gribouillages sur des feuilles volantes. Chaque détail compte : la courbe d’une lettre, le choix d’une couleur, l’épaisseur d’un trait… C’est tout sauf aléatoire.
Nous jouons avec les lettres, avec les symboles, nous essayons de chercher plus loin qu’un visuel de baguette de pain ou qu’un épi de blé. C’est de l’art, de l’artisanat, c’est notre sueur et parfois même quelques larmes (quand le client fait ses énièmes retours et demande une nouvelle version, mais cette fois en rouge plutôt qu’en bleu avec une typo arrondie, mais pas trop). D’ailleurs, les retours clients, parlons-en. Vous gérez cela comment si votre logo est entièrement généré par IA ?
L’IA générative, une question de modération
Maintenant, je ne vais pas jouer la boomeuse. L’IA générative est un peu comme le nouveau pinceau dans la trousse du peintre. Ça peut servir à générer des éléments de base, à jouer avec des formes, à explorer des palettes de couleurs qu’on aurait peut-être zappées. En somme, ça ouvre des portes, ça étend le terrain de jeu. Mais l’idée de presser le bouton et de se retrouver avec un logo prêt-à-porter, c’est passer à côté de l’essence même du design. C’est oublier que derrière chaque création, il y a un cerveau humain qui a réfléchi, qui a fait des choix.
Utiliser l’IA pour produire des composants, pour tâter le terrain, pour expérimenter, je dis oui. Cela, c’est l’utiliser à bon escient. C’est comme avoir un apprenti qui te prépare ton matériel, mais à la fin, c’est le maître artisan qui prend le relais pour assembler le chef-d’œuvre. L’IA, c’est notre apprenti digital, pas le maître artisan.
Pour finir sur une note sérieuse (mais pas trop)
Alors, oui, l’IA dans le design de logo, pourquoi pas ? Mais gardons en tête que le cœur de notre métier, c’est l’humain, sa créativité, son expertise, son flair. On peut laisser l’IA nous servir les briques, mais c’est à nous de construire le château. Et ça, aucun algorithme ne peut le faire à notre place. Le jour où une IA pourra boire un café en râlant sur la dernière demande de révision d’un client, là, on pourra peut-être commencer à s’inquiéter…