Mais attention : si l’IA est un assistant utile, elle devient un documentaliste halluciné sous champis dès qu’on lui confie la souris.
La tentation est grande de zapper Google ou une base académique au profit d’une “réponse sur mesure” signée d’un chatbot.
En quelques secondes : un contenu arrive. Prêt-à-publier. Prêt-à-poster. Prêt-à-polluer.
Une idée de génie made in IA ? Oui, si vous cherchez un contenu calibré pour séduire les algorithmes. Merci non merci si vous cherchez une information juste, sourcée, vérifiée.
Raison 1 – L’illusion d’exhaustivité : les sources fiables ferment les vannes
On entend souvent que les IA ont été entraînées sur un corpus mondial, infini, omniscient… quasi mystique. En réalité, leur apprentissage repose sur un scraping sauvage, réalisé sans demander l’autorisation à personne. Et depuis, les médias ont dit : « je coupe le flux ».
Petit rappel : sur le Web, on trouve de tout. Nos savoirs, nos biais… et un sacré stock de bêtises. (Nous n’avons pas attendu l’IA pour ça.)
Selon NewsGuard, 67 % des médias d’info fiables bloquent désormais l’accès à leurs contenus. Pas envie de nourrir gratuitement les IA. Une ligne de code, et off pour les bots. Ouest-France, Huffington Post, New York Times : absents des updates de ChatGPT & co. Seule exception : Le Monde, qui a signé un accord avec OpenAI. Pour les autres ? Circulez, y’a rien à scrapper.
Résultat ? Les IA vont chercher leur data ailleurs. Et parfois très loin. Très, très loin. Elles s’abreuvent à des sources marginales, douteuses ou franchement toxiques : ZeroHedge, comptoir à complots économiques ; The Epoch Times, distributeur automatique d’intox ; MarieFrance.fr, qui publie des articles mal sourcés… sans oublier quelques sites de propagande estampillés Kremlin.
Et ce n’est pas fini. En février 2025, NewsGuard identifiait 1 254 sites d’information non fiables générés par IA, surnommés “UAINS” (pour Unreliable AI-generated News Sites). En mars 2025, Next.ink, en partenariat avec CheckNews et Wikipédia, en recense plus de 3 000 en français — et on est probablement très loin du compte.
Des coquilles vides. Sans journalistes. Sans vérification. Sans intérêt. Juste du contenu déguisé en article pour nourrir du clic et quelques comptes bancaires.
“Ça ressemble à un média. Ça en a le ton. Mais ce n’est pas un média.”
Envie d’identifier ces sites 100% IA ? Téléchargez l’extension de Next.ink (Chrome ou Firefox). Elle vous évite de perdre du temps.
Pendant ce temps, Google regarde ailleurs. Pourquoi pénaliser une pollution qu’il indexe, amplifie… et monétise ? Bientôt, on consultera un web 100 % IA, truffé d’erreurs, lu par… nos agents conversationnels ?
Bienvenue dans l’ère du GIGO – Garbage In, Garbage Out. Nourrissez une IA avec de la soupe, elle vous recrachera du bouillon. Avec supplément tofu.
Raison 2 – L’IA hallucine… à la vitesse du prompt
Même avec un accès aux meilleures sources, serait-elle capable de restituer des faits justes ? non. Et ce n’est pas une opinion, c’est un benchmark d’open AI , concepteur de ChatGPT.
SimpleQA (nov. 2024) montre que même les modèles les plus performants se vautrent une fois sur deux :
- o1-preview (OpenAI) : 47 %
- Claude 3.5 Sonnet : 44,5 %
- GPT-4o : 38 %
- GPT mini : 8,6 % (oui, huit)
Pile ou face, mais avec l’air convaincu d’un major de promo.
Le plus troublant ? L’IA ne doute jamais. Et c’est comme ça qu’on les reconnaît. Elle vous balance des chiffres inventés, des faits tordus, des citations imaginaires… le tout, avec le calme zen de l’expert autocertifié en toutologie.
Un cas d’école de Dunning-Kruger algorithmique : plus elle est à côté, plus elle est confiante. Et nous ? On se laisse bercer par cette assurance artificielle, et on finit par confondre plausibilité et vérité.
Une forme de créativité enfantine… sauf quand elle désintègre votre crédibilité.
Raison 3 — Les citations ? Douteuses, floues, voire fictives
Nouvelle couche : les sources.
Selon le Tow Center for Digital Journalism (mars 2025), 67 % d’erreurs de ChatGPT-4o sur l’actualité. Grok -3, le modèle IA d’Elon Musk (initialement baptisé « TruthGPT »… oui, l’ironie est totale), flirte avec les 94 % d’erreurs.
Même Perplexity, le bon élève du lot avec 37 % d’erreurs, n’est pas épargné : une étude d’arXiv (octobre 2024) montre que 30 % de ses affirmations ne correspondent pas aux sources citées. Pire : les utilisateurs cliquent six fois moins sur les liens que ceux de Google. L’interface est propre, crédible… trop crédible.
Résultat : une illusion de rigueur, une baisse de vigilance, et une contamination silencieuse de notre écosystème informationnel.
Raison 4 — Même la BBC n’en réchappe pas
On pourrait croire que ça n’arrive qu’avec des sources douteuses. Mais même la BBC y laisse des octets. En mars 2025, elle teste plusieurs IA sur 100 questions basées sur ses propres articles :
- 51 % des réponses contiennent des erreurs significatives.
- 19 % sont factuellement fausses
- 13 % modifient ou inventent des citations
Fini les hallucinations grotesques façon œufs de vache ou survivants enterrés. Aujourd’hui, l’erreur est polie, feutrée, crédible.
Un mot déformé. Une date déplacée. Une nuance disparue. L’IA ne se trompe plus : elle calcule sa réalité sans rien comprendre à la nôtre.
Et nous, on baisse la garde. Bienvenue dans l’ère du CopyGPT : Copier, coller, publier — sans vérifier, sans réfléchir.
Rester Centaure ou devenir automate ?
Oui, les IA peuvent nous aider. Pour synthétiser, vulgariser, structurer, produire… elles sont redoutables. Mais deux bonnes raisons de ne jamais leur déléguer votre veille :
- Votre crédibilité est en jeu.
Quand l’IA hallucine, c’est votre nom qu’on retient. Pas celui de l’outil. - L’esprit critique ne se sous-traite pas.
La veille n’est pas de la consommation automatique. C’est une exploration curieuse, volontaire. Chercher, douter, croiser, réinterpréter, se faire surprendre.
Je continue à la faire moi-même. Parce qu’en cherchant, je trouve parfois… ce que je ne cherchais pas. Et oui, parfois, un article bouscule mes certitudes. Même lire un livre peut encore servir.
Vous êtes un Centaure. Ni technophile naïf ni technophobe aigri. Vous savez ce que l’IA peut faire. Et ce qu’elle ne doit jamais faire à votre place.
Alors, la prochaine fois qu’un gourou du scroll vous clame : « Confiez votre veille à l’IA et gagnez 90 % de productivité pour vous concentrer sur des tâches plus essentielles et cruciales. »
… souriez poliment. Et gardez la souris.
Sylvain MONTMORY
« L’IA au service du marketing » (Dunod)
www.centaure-marketing-ia.fr