Une intelligence artificielle… très humaine
La réalité, révélée par des documents internes et des enquêtes journalistiques, montre que Builder.ai reposait avant tout sur une main-d’œuvre externalisée : plus de 700 développeurs, principalement en Inde, prenaient en charge les projets. La plateforme servait d’interface, mais le cœur du service restait artisanal. L’automatisation était marginale, voire inexistante sur les livrables clients. On était loin d’un produit SaaS automatisé… mais bien plus proche d’une agence de développement habillée d’un vernis technologique.
Ce fonctionnement n’a pas empêché l’entreprise de lever près de 450 millions de dollars. Microsoft, parmi les premiers soutiens, a investi en valorisant la cohérence avec sa propre stratégie IA. L’asymétrie d’information est flagrante : les investisseurs achètent un récit, les équipes techniques manipulent une réalité bien plus ordinaire.
Une illusion qui s’effondre
Dès 2024, les incohérences deviennent visibles. Les revenus sont divisés par quatre par rapport aux projections. Des pratiques de round-tripping (échanges commerciaux gonflés artificiellement entre entités liées) sont signalées. L’absence de rentabilité structurelle, le poids du personnel et le manque d’actifs technologiques conduisent à l’impasse. En février 2025, le CEO quitte ses fonctions. Trois mois plus tard, l’entreprise est en faillite. Microsoft et AWS sont à la fois partenaires stratégiques et créanciers impayés.
Le cas Builder.ai illustre une stratégie désormais classique dans la Tech : l’AI-washing. On prétend remplacer un processus manuel par une IA, sans aucune preuve concrète ni automatisation réelle. Tel le champ lexical des éléments de langages politiques, le vocabulaire change. Entrent en scène le machine learning, le code génératif, les assistants intelligents. Mais derrière la belle façade, le code reste humain, linéaire, supervisé. L’usage du mot « IA » sert ici à valoriser un service qui n’est ni scalable, ni autonome, ni innovant d’un point de vue architectural.
Un écosystème complice
Cet échec ne relève pas d’un seul acteur. Les fondateurs ont scénarisé leur technologie. Les investisseurs ont suivi sans imposer d’audits techniques. Les clients ont cru à une promesse sans exiger de preuves tangibles. Les analystes ont relayé un pitch sans contre-expertise. On retrouve une absence criante de culture de vérification, dans un secteur où le marketing l’emporte souvent sur l’ingénierie.
Malheureusement, Builder.ai n’est pas un cas isolé. C’est un signal d’alarme. Le système préfère les récits aux schémas d’architecture, les promesses aux prototypes, les levées de fonds aux livrables. Pour les étudiants et professionnels, c’est l’occasion d’adopter une posture critique : vérifier, tester, documenter. L’innovation n’est réelle que lorsqu’elle est observable, reproductible, auditée.
Un code opaque n’est pas une IA. Une équipe offshore n’est pas une automatisation. Une interface fluide ne garantit pas une complexité maîtrisée. L’exigence technique, la transparence et la relecture critique doivent redevenir les fondations de toute solution qui se revendique innovante. Sinon, l’écosystème lui-même perd sa crédibilité… au détriment des vraies avancées technologiques.
Augustin GARCIA