Assez de lyrisme technophile. L’intelligence artificielle n’est pas un outil, c’est une machine à produire du rien. Une photocopieuse planétaire qui recopie sans savoir, qui simule sans comprendre, qui recrache sans créer. Et vous, ravis de ce miracle de pacotille, vous vous extasiez devant des avatars grotesques et des textes formatés comme des modes d’emploi Ikea.
La photographie attirait « les peintres manqués ». L’IA attire pire : une armée de médiocres pressés de se donner des airs de créateurs. Fini l’effort, fini le style, fini la voix singulière. Place aux prompts et aux remix. Place à la paresse industrialisée, labellisée progrès.
On nous dit que l’IA « libère » l’artiste. Mensonge. Elle l’humilie, elle le réduit au rôle de sous-traitant de l’algorithme. On nous dit qu’elle « démocratise » l’art. Foutaise. Elle standardise, elle aplatit, elle sert une soupe tiède que la foule avale avec gratitude. On nous dit qu’elle « invente ». Non. Elle bricole. Elle empile des fragments comme un voleur assemble ses butins.
Et le plus obscène, ce n’est pas la machine. C’est vous. Vous qui confondez vitesse et talent. Vous qui appelez « chef-d’œuvre » une image générée en 30 secondes. Vous qui applaudiriez un robot qui rote si un communiqué de presse vous expliquait que c’est « disruptif ». Vous qui vous indignez de la standardisation algorithmique, mais qui recyclez vous-mêmes les mêmes copiés-collés sur LinkedIn ou Twitter, enrobés des mêmes hashtags. À force, vous ressemblez à des IA de seconde zone.
Ne nous mentons pas : si la machine triomphe, c’est que nous l’avons suppliée de le faire. Nous ne voulons plus écrire, plus chercher, plus douter. Nous voulons le fast-food intellectuel, l’illusion de la profondeur servie en trois secondes chrono. Nous accusons l’IA d’aseptiser la langue, mais combien d’entre nous recyclent chaque jour les mêmes formules toutes faites, les mêmes slogans prémâchés, les mêmes indignations prêtes à poster ?
En 1859, Baudelaire redoutait « la vengeance de l’imbécillité ». La voilà. Elle a des serveurs, des brevets, des levées de fonds. Elle vous sourit avec un logo pastel. Elle n’a pas besoin de vous convaincre : vous vous êtes déjà rendus. L’imbécillité n’a pas pris sa revanche, elle a gagné par forfait.
Alors, continuez. Confiez vos poèmes, vos rêves, vos amours, vos colères à la machine. Elle vous les rendra sous forme de clichés léchés et de textes prémâchés. Vous n’aurez plus à penser. Vous serez enfin délivrés de l’art, de l’effort, de la liberté. Et vous appellerez ça le futur.
Augustin GARCIA
Baudelaire contre la photographie
En 1859, dans son Salon de 1859, Charles Baudelaire fulmine contre la photographie. Il ne la considère pas comme un art, mais comme une industrie mécanique. Pour lui, elle attire « tous les peintres manqués », trop paresseux ou trop médiocres pour travailler. Il craint que la photographie supplante l’imagination, corrompe l’art et séduise la foule par des images faciles.
Il parle d’« alliance naturelle » entre la photographie et la « sottise de la multitude » et prophétise « la vengeance de l’imbécillité ». Plus qu’une critique esthétique, c’est un réquisitoire contre la standardisation, l’illusion du progrès et la paresse intellectuelle.
Un siècle et demi plus tard, ses arguments trouvent un écho troublant dans les débats actuels autour de l’intelligence artificielle.