Erreur d’illusion
Ce n’est pas un bug ni une optimisation. C’est un verrouillage méthodique. En supprimant l’accès aux cent premiers résultats, Google n’a pas « resserré » le Web : il l’a compartimenté. Les 90 % de pages qui vivaient au-delà du top 10 ont été reléguées hors champ, comme si elles n’existaient plus. Ce n’est pas une panne d’Internet, c’est une réécriture de sa cartographie. Google a déplacé la frontière entre ce qui est visible et ce qui ne l’est plus — et, ce faisant, il a repris la main sur la circulation du savoir.
Ce n’est pas une censure brutale, c’est une contraction économique. Le moteur ne détruit pas la longue traîne, il la rend économiquement inintéressante. C’est plus subtil, et plus efficace. Parce que ce que Google a fait, c’est déplacer la ligne du rentable. Avant, un acteur du référencement ou une IA pouvaient se nourrir d’un échantillon de cent résultats, assez large pour cartographier les marges du Web. Aujourd’hui, ce travail coûte dix fois plus cher. Autrement dit : Google n’a pas tué la longue traîne, il a tué ceux qui pouvaient encore l’explorer.
Le geste invisible
La suppression du paramètre num=100 ne concerne personne, sauf ceux qui savent qu’il existait. Pour le grand public, rien ne change : dix liens bleus, les mêmes depuis vingt ans. Mais pour les plateformes SEO, les agrégateurs de données, les IA, c’est un verrou. Ce paramètre servait de levier pour extraire rapidement de larges pans de résultats et observer le Web dans sa profondeur. C’est cette profondeur qui vient d’être scellée. Les conséquences se voient dans les chiffres : chutes d’impressions dans Search Console, visibilité réduite pour 88 % des sites, effondrement de Reddit en bourse après sa sortie du top 10. Google a donc posé un cadenas, sans dire un mot.
La vérité derrière le pare-feu
Ce n’est pas une décision ergonomique. C’est une manœuvre d’ingénierie politique. Google sait que la majorité des IA concurrentes accèdent au Web… via lui. En supprimant les 100 résultats, il force tout le monde à repasser par sa caisse. Les IA généralistes qui aspiraient des contenus via Google devront désormais :
- Payer des accès premium à l’API.
- Indexer elles-mêmes le Web, à des coûts colossaux.
- Ou survoler le réel, en produisant des réponses superficielles à partir des dix premiers liens.
Ce verrouillage ne vise pas seulement à protéger l’index. Il vise à rendre toute extraction indépendante économiquement intenable. C’est la version numérique du mur de Berlin : tu restes de ce côté, ou tu paies le passage.
Les victimes invisibles
Les premières victimes ne sont pas les géants de la tech. Ce sont les PME, les ETI, les artisans du Web profond. Ceux qui vivaient d’un trafic de niche, d’une expertise locale, d’une visibilité discrète.
Prenons, par exemple, un hôtel de séminaire à Bayonne, une société de formation à Dax, une PME industrielle à Pau : tous dépendaient d’une recherche précise, jamais tapée plus de quelques centaines de fois par an.
Ces requêtes vivaient dans la longue traîne. Aujourd’hui, elles ne comptent plus dans les rapports SEO. Donc elles n’existent plus dans les budgets marketing. Donc elles meurent.
Et pendant ce temps, le discours se déplace. Les agences parlent désormais de GEO, la « Generative Engine Optimization ». Traduction : apprendre à plaire aux IA plutôt qu’à Google. Sauf que les IA se nourrissent… de Google. Cercle fermé.
La dérive du moteur
Google ne cherche plus à organiser l’information du monde. Il veut la posséder.
Le Web ouvert, celui de 2005, n’existe plus. À sa place, un espace semi-fermé où l’accès profond est conditionné par des accords commerciaux, où la pertinence se confond avec la rentabilité, où les IA doivent payer pour apprendre, et où la découverte spontanée devient une rareté.
Ce n’est pas une guerre de technologie. C’est une guerre d’accès. En réduisant la vision à dix liens, Google a transformé la recherche en vitrine. Ce qui se trouve derrière, les 90 % restants, n’a plus de public.
Sous scellés
Google a mis la longue traîne sous scellés. Pas par censure, par design. Il ne détruit pas le Web. Il le clôture. Et derrière cette clôture, c’est tout un monde d’informations locales, de voix secondaires, de petites intelligences collectives qui disparaît dans le silence algorithmique.
Le Web n’a pas rétréci. C’est notre droit d’y voir clair qui vient d’être confisqué.
Augustin GARCIA
Pourquoi les « petits » risquent-ils de devenir invisibles ?
Le changement n’efface pas directement les PME du Web, mais il les fait glisser hors des radars. En rendant la longue traîne illisible pour les outils et les IA, Google crée un effet domino : ce qui n’est plus mesuré finit par disparaître.
Ce n’est pas le référencement qui disparaît, c’est la mesure
Les petites entreprises peuvent encore ressortir sur une requête de niche, mais les outils qui détectaient ces positions ne voient plus au-delà du top 10. Leurs performances deviennent invisibles dans les rapports, même si leurs pages existent toujours.
Ce qui ne se voit plus ne se finance plus
Dans une PME, les budgets suivent les indicateurs. Quand les impressions chutent dans les tableaux de bord, on conclut à tort que le contenu ne marche plus. Les efforts éditoriaux se tarissent, la page s’éteint, la présence organique s’évapore.
L’IA amplifie la disparition
Les modèles génératifs s’appuient sur les signaux de Google pour déterminer ce qui fait autorité. Si la longue traîne devient invisible au moteur, elle le devient aussi pour les IA. Les entreprises locales cessent alors d’apparaître dans les réponses, les analyses, les synthèses.
La GEO ferme le cercle
La « Generative Engine Optimization » pousse les marques à produire du contenu calibré pour plaire aux IA. Mais ces IA se nourrissent des mêmes dix liens issus de Google. Résultat : le web se replie sur lui-même, et tout ce qui n’entre pas dans ce cercle s’efface peu à peu du paysage numérique.






















