Ils s’appellent Gabe Farrow, Lennie West, Milo Rains et Orion « Rio » Del Mar. Ils viennent de Californie, jouent du rock psyché au parfum seventies, chantent la guerre, l’amour, la poussière et les rêves brisés. Ils s’affichent en studio, en cuir, en sépia. Ils ont sorti deux albums en un mois, cumulent des millions d’écoutes sur Spotify, et ne répondent à aucune interview. Normal : ils n’existent pas.
The Velvet Sundown est un groupe fictif. Une fabrication complète. Les membres ? Inventés. Les photos ? Générées par IA. La musique ? Composée, arrangée, chantée et mixée avec des outils automatisés. Les paroles ? Un bingo nostalgique de métaphores folk rock. Et pourtant, la supercherie a tenu plusieurs semaines. Le groupe est même monté dans les classements viraux. Le tout, sans un seul musicien, sans scène, sans souffle humain.
Le coup parfait
Le plan était aussi simple que brillant : créer un groupe fantôme assez crédible pour tromper l’algorithme. Nom évocateur, esthétique vinyle, ambiance analogique, tempo planant. Quelques titres bien calibrés, deux albums sortis coup sur coup, une page Spotify impeccable, un soupçon de storytelling mystérieux sur fond de soleil couchant.
Personne n’a rien vu venir. Les playlists l’ont intégré sans broncher. Les auditeurs ont suivi, bluffés par cette ambiance rétro qui semblait tout droit sortie d’un vieux catalogue Atlantic Records. En quelques jours, The Velvet Sundown s’est retrouvé propulsé au milieu des Doors, des Byrds et de Jefferson Airplane. Comme si le passé avait ressuscité un clone parfait.
Et puis, les premiers doutes. Une voix qui change d’un titre à l’autre. Des visages trop lisses. Des biographies sans historique. Et cette étrange sensation d’écouter un groupe qui sonne comme tous les autres, mais n’a aucune aspérité. Pas de fêlure, pas d’histoire, pas de sueur. Un groupe impeccable, donc suspect.
Révélation ou pirouette ?
Lorsque les accusations sont tombées, le groupe a d’abord protesté. « Nous sommes réels », ont-ils clamé sur les réseaux, dans un anglais tout droit sorti d’un générateur de com ». Puis, changement de ton. Le compte Spotify s’est mis à parler « direction créative humaine », de « musique augmentée », de « fiction incarnée ».
Traduction : tout était faux, mais volontaire. The Velvet Sundown se revendique désormais comme une « œuvre expérimentale ». Une sorte de miroir tendu au public, pour questionner l’idée d’auteur, d’identité, de création. Bref, un projet artistique. Le mot magique pour transformer un mensonge en performance.
Mais entre nous, quand on écoute leurs titres, difficile de croire à une intention conceptuelle. Tout sonne trop bien, trop propre, trop plat. Comme une compilation pour boutique de fringues. Le projet semble moins une critique de l’industrie qu’un test de ses failles. Et le test a marché. Spectaculairement.
L’algorithme a dit oui
Le plus embarrassant dans cette affaire, ce n’est pas le canular. C’est sa facilité. Ce n’est pas The Velvet Sundown qu’il faut blâmer, c’est l’écosystème qui l’a accueilli à bras ouverts.
Spotify n’a rien vu ni dit. Apple Music non plus. Les plateformes ont traité ce groupe inexistant comme n’importe quel autre. Vérification automatique, diffusion algorithmique, visibilité organique. Aucun filtre. Aucun garde-fou. L’IA a alimenté l’IA. Et le public, en bout de chaîne, a validé sans poser de questions.
La vérité, c’est que les plateformes se fichent de savoir qui fait la musique, tant qu’elle colle aux habitudes d’écoute. Un bon tempo, une ambiance reconnaissable, des paroles génériques, et le tour est joué. Le rock de The Velvet Sundown ne dit rien, ne dérange rien, n’invente rien. C’est précisément pour ça qu’il plaît.
Le syndrome du faux groupe parfait
The Velvet Sundown n’est pas un scandale. C’est un symptôme. Celui d’un monde musical qui confond présence avec existence, esthétique avec sincérité, hype avec talent. Le public ne veut pas forcément du vrai. Il veut du plausible, du formaté, du partageable. Et surtout, il veut croire à quelque chose, même si c’est fabriqué.
Cette affaire nous rappelle à quel point l’industrie actuelle récompense le simulacre. Le groupe était faux, mais la réception, elle, était bien réelle. Des écoutes, des partages, des playlists, des commentaires enthousiastes. Ce qui compte, ce n’est pas ce que vous êtes. C’est comment vous apparaissez dans le flux.
Le plus ironique ? Même démasqué, The Velvet Sundown continue d’être écouté. Les gens savent, mais s’en moquent. « Ça sonne bien », disent-ils. Comme un bon générique. Comme un parfum d’époque reconstitué. Ce n’est plus de la musique : c’est une ambiance. Et pour ça, l’IA fait très bien le job.
Rock is dead, long live to the prompt
Il y a vingt ans, on fantasmait sur le come-back du rock authentique, des groupes en sueur, des riffs imparfaits. Aujourd’hui, on stream sans sourciller des compositions synthétiques écrites par personne, chantées par rien. The Velvet Sundown n’est pas une trahison. C’est une mise à jour.
Pourquoi s’embêter avec un vrai groupe, ses humeurs, ses cachets, ses retards, quand un prompt bien tourné vous livre en dix secondes un hit vintage prêt à streamer ? Pourquoi entretenir des musiciens quand une IA fournit le même produit, sans pause clope, sans ego, sans panne de van ?
Ce n’est plus une question d’avenir. C’est déjà le présent. Un présent où la voix humaine est une option, la scène, un folklore, et le storytelling une affaire de marketing visuel. Ce n’est pas grave, c’est juste ce que nous avons choisi. Collectivement. Par nos clics, nos écoutes, nos playlists. The Velvet Sundown n’a pas menti. Il a juste répondu à la demande.
Ils n’existent pas. Et alors ?
Le plus troublant, dans cette histoire, c’est sans doute notre propre réaction. On s’offusque, on rit, on partage. On se moque du fake, mais on l’écoute quand même. Parce qu’au fond, ce groupe nous ressemble. Un peu fake, un peu nostalgique, bien habillé, bien cadré. Un mythe jetable pour un été d’algorithmes.
Et comme dans tout bon canular, il y a un twist final. Après avoir reconnu la supercherie, The Velvet Sundown a lâché une dernière provocation : « Peut-être que vous non plus, vous n’êtes pas réels. » Pas sûr que ce soit de la musique. Mais comme postface générationnelle, c’est assez bien vu.
Elisa GARCIA