L’IA repousse les frontières du métier junior. Les stagiaires et jeunes diplômés ne peuvent plus se contenter des tâches traditionnelles (veille, relances, synthèses) désormais confiées à des bots. Mais ce constat n’est pas une menace : c’est une révolution. Elle libère les débutants des corvées pour les recentrer sur la compréhension des enjeux médias, la lecture contextuelle des situations, et l’acquisition progressive d’une posture conseil. Encore faut-il leur en donner les moyens. Dans ce contexte, il ne s’agit plus simplement de « former », mais bien de « transformer » les profils.
Concevoir un assistant RP utile, ce n’est pas assembler un prompt. Qui mieux qu’un professionnel aguerri peut intégrer les codes, les contraintes, les attendus du métier ? Une IA produite par un novice donnera un savoureux effet placebo, mais jamais la qualité attendue. À l’inverse, une IA pensée avec 28 ans d’expérience offrira un vrai coup de pouce opérationnel, contextualisé et stratégique. C’est la différence entre un outil préfabriqué générique, et un assistant métier taillé sur mesure. Encore faut-il que les professionnels s’emparent du sujet.
Si les RP délaissent ces outils, d’autres les façonneront à leur place. C’est déjà le cas. De nombreux outils dédiés aux relations médias apparaissent, conçus sans aucune connaissance fine des attentes des journalistes, des temporalités réelles, des spécificités sectorielles. Résultat : des promesses d’efficacité déconnectées de la pratique, et une nouvelle forme de saturation des rédactions. Raison de plus pour que la profession investisse l’IA, la conçoive comme un levier et forme les futurs talents à l’utiliser avec rigueur et discernement. C’est aussi une opportunité unique pour réconcilier l’efficacité opérationnelle avec l’intelligence relationnelle, à condition d’en faire un chantier collectif.
Une nouvelle donne pour le recrutement
Le paradigme du recrutement est bouleversé. On ne recrute plus un junior pour exécuter à la chaîne, on cherche un profil capable d’être validé par l’IA. Plus qu’un bagage technique, on attend une capacité à s’approprier et à orchestrer les outils, tout en continuant d’apprendre la mécanique des RP. Le rapport au savoir change : il faut à la fois comprendre le métier et questionner en permanence les résultats produits par l’IA. L’esprit critique devient aussi important que la maîtrise des fondamentaux.
Il est urgent d’intégrer cette réalité dans les formations et les parcours d’intégration. Développer des compétences hybrides : maîtrise des codes RP, culture des médias, sensibilité éthique, et agilité numérique. C’est la seule manière de produire des professionnels adaptables, capables de comprendre le fonctionnement de l’écosystème média tout en exploitant les meilleurs outils pour y émerger. Cela implique aussi de revaloriser le temps de formation interne, souvent sacrifié au nom de l’urgence.
Les recruteurs devront aussi changer leur regard. Là où hier on jugeait un junior sur sa rapidité d’exécution ou sa capacité à gérer une base de données, on attendra demain qu’il sache débriefer les résultats d’un assistant conversationnel, critiquer une synthèse automatique, ou reformuler une alerte IA dans une logique de newsjacking. Ce sont de nouveaux réflexes à acquérir, et cela doit commencer dès les bancs de l’école.
Des juniors libérés, pas sacrifiés
Il ne s’agit pas de sacrifier les jeunes talents sur l’autel de la productivité technologique, mais de les libérer des tâches sans valeur ajoutée. Cela suppose un accompagnement, une pédagogie et une responsabilisation. Former un junior aujourd’hui, c’est lui apprendre à arbitrer : ce que l’on délègue à l’IA, ce que l’on garde pour soi, ce que l’on doit questionner. C’est un changement de posture majeur, qui exige des encadrants plus disponibles, et des organisations plus attentives à la qualité de la transmission.
La question n’est donc plus : « Peut-on se passer des juniors ? », mais plutôt : « Comment préparer des juniors augmentés ? ». C’est une responsabilité collective. La survie du lien entre entreprises, RP et journalistes en dépend. Si les outils — IA comprise — dictent seuls les pratiques, sans regard critique ni ajustement humain, on perdra en crédibilité, en finesse et en efficacité. L’avenir du métier repose sur notre capacité à former des profils hybrides, humains et technophiles, capables de manier les outils sans s’y soumettre. En définitive, c’est un nouveau pacte générationnel qu’il faut nouer entre les anciens et les entrants : partageons l’expérience, transmettons les codes, et donnons aux jeunes la liberté de réinventer le métier avec les bons outils.
Bruno SANVOISIN
Co-Président du SYNAP
Consultant RP chez Influactive