Augustin GARCIA
Éditeur de IN DATA VERITAS
Dinosaure de la presse informatique, il fait ses armes comme journaliste au Groupe Tests (01net, L’Ordinateur Individuel, 01 Informatique, Décision Micro et Réseaux, MicroStrad…), puis il intègre l’agence de communication Pleon. Aujourd’hui, passionné d’IA génératives, il imagine des prompts.
L’avènement fulgurant des IA génératives, dont GPT4 est le porte-drapeau, et les sanctions technologiques contre la Chine démontrent que le monde a déjà dépassé le point de bascule.
L’intérêt des grandes puissances mondiales pour l’intelligence artificielle est pourtant ancien et, depuis toujours, est lié à la géopolitique et aux intérêts militaires des États. Ainsi, il débute avec les travaux du mathématicien et cryptoanalyste Alan Turing dans les années 50. Du déchiffrement du code secret de l’armée allemande Enigma à la mise au point du test de Turing qui détermine si une machine peut être considérée comme « intelligente », le Britannique a semé les graines et laissé entrevoir le potentiel de l’IA en matière de pouvoir et de technologie.
Fort de leur statut de puissance dominante de l’après-guerre, les États-Unis se sont hissés au sommet de la recherche en IA, soutenus par une politique gouvernementale proactive et un solide tissu industriel et universitaire. L’Europe et le Japon ont rapidement emboité le pas des États-Unis, sans pour autant parvenir à allouer des ressources financières et politiques équivalentes. L’Europe, aujourd’hui l’Union européenne, n’est pas une Europe fédérale, mais une agrégation d’États qui doivent se mettre d’accord avant de bouger leurs pions sur l’échiquier. Dès lors ils ne pourront jamais rivaliser avec des puissances-états comme l’es États-Unis ou la Chine.
Au cours des années 2000, la course à l’IA a pris un nouveau tournant avec l’avènement du développement web et des nouvelles technologies. Mais le facteur premier de cette accélération est l’arrivée de nouveaux acteurs tels que la Corée du Sud, Israël et la Russie, avec en toile de fond des plans stratégiques d’État.
Pour bien comprendre les enjeux, il faut revenir sur l’imbrication entre intelligence artificielle, géopolitique et intérêts militaires. L’IA est un outil crucial pour les militaires à plusieurs titres : détection de la menace, appréciation de la situation, aide à la décision, autonomie des systèmes d’armes… Elle sert aussi bien pour analyser les failles de sécurité sur les systèmes d’Information que pour reconnaître des caractéristiques sur des images satellitaires. Voilà pour le volet défensif, mais l’IA joue aussi un rôle important sur le volet offensif : désinformation, cyberattaques intelligentes, armes létales autonomes ou semi-autonomes, empoisonnement des données à des fins stratégiques…
États-Unis et Chine, seuls en course
Dès 2017, la Chine a exprimé son souhait de devenir leader mondial dans le domaine des technologies de l’information. Aujourd’hui, avec les USA, elle domine l’IA de la tête et des épaules dominent l’IA de la tête et des épaules. À tel point que les entreprises chinoises doivent faire preuve d’imagination pour contourner les sanctions américaines, notamment sur la fourniture de puces A100 de Nvidia, indispensables pour développer leurs IA. L’objectif est simple à comprendre : ralentir, coûte que coûte, les entreprises chinoises.
Au-delà des nouvelles technologies, la Chine voit l’IA comme un moyen asymétrique de contrer la puissance économique et militaire américaine. Elle s’appuie sur la capacité de son pouvoir central à orienter l’économie et la recherche pour mettre en œuvre les orientations stratégiques du pays.
Si les Américains s’appuient sur les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) pour compenser la faiblesse relative d’investissements publics, la Chine dispose des BHATX (Baidu, Huawei, Alibaba, Tencent et Xiaomi) pour se maintenir à la pointe du développement de l’IA. Les entreprises et les stratégies des états se jouent désormais sur une carte géoéconomique et géopolitique.
Et l’Europe ?
Comment parvenir à monter dans le train ? Relever les défis de l’IA à l’échelle mondiale en incluant l’Europe, telle est la vision de la France en matière d’IA. Face aux tensions sino-américaines sur les nouvelles technologies, nombre de pays européens ont pris conscience de l’importance cruciale d’unir leurs forces et de coopérer pour avancer ensemble dans le domaine de l’intelligence artificielle. Cette coalition lancée en 2016 et menée par les États-Unis (au travers de ses GAFAM) cherche à faciliter un échange ouvert d’idées et de connaissances entre les pays et les organisations, tout en mettant l’accent sur les aspects éthiques et les implications sociétales de l’IA. En d’autres termes, l’Europe se raccroche aux wagons occidentaux des États-Unis.
En pratique, cette collaboration se concrétise par plusieurs projets concrets, dont le Partenariat mondial sur l’intelligence artificielle (PMIA). Une initiative collaborative visant à rapprocher la théorie et la pratique de l’IA en soutenant la recherche avancée et les projets concrets dans le domaine. Fondé sur l’engagement partagé envers la « Recommandation de l’OCDE sur l’IA », le PMIA réunit des experts de divers secteurs, tels que la science, l’industrie, la société civile, les gouvernements, les organisations internationales et le milieu universitaire, pour encourager la coopération internationale. Le PMIA regroupe aussi bien des projets sur l’IA responsable que sur la gouvernance des données collectées.
Au-delà de la dimension géopolitique, être absent du marché de l’IA revient à laisser la manne financière aux deux grandes puissances. Car les applications de l’IA touchent de très nombreux domaines qui sont autant de marchés lucratifs, aussi bien dans le médical (détection de maladies) que militaire.
Faute de participer à la course dans les meilleures équipes, l’Europe prend donc le parti de tenter d’assoir sa présence sur les réglementations et l’éthique. Une position qui pourrait lui coûter. La souveraineté nationale numérique en sera probablement le cheval de Troie, et l’Europe pourrait du coup être le parent pauvre de l’IA.
Au-delà de la géopolitique…
Parmi les différents épisodes de la saga IA, dans une lettre ouverte, plus d’un millier de chercheurs dans le domaine de l’IA viennent de s’alarmer « d’une course incontrôlée pour développer et déployer des systèmes d’IA toujours plus puissants, que personne, pas même leurs créateurs, ne peut comprendre, prédire ou contrôler de manière fiable. » Ils réclament un moratoire d’urgence pour se poser et réfléchir sur les conséquences d’une telle perte de contrôle sur la civilisation. En effet, les biais dans les données de l’IA générative peuvent aussi contribuer à façonner les esprits à l’image d’une surreprésentation des données occidentales et anglophones dans l’apprentissage du modèle. La Chine et ses propres modèles IA pourraient être tentés de réécrire l’Histoire…
« Nous appelons tous les laboratoires d’IA à suspendre immédiatement, pendant au moins six mois, la formation des systèmes d’IA plus puissants que GPT-4 », disent les scientifiques. Il serait peut-être grand temps de relire Isaac Asimov.